Le 4 octobre 1491, Guillaume d’Outarville, ecuyer, seigneur Nangeville (Tour Carree) fait une declaration devant un notaire (ou un magistrat) au sujet de lettres qui avaient ete confiees 25 ans auparavant a son frere Ramonnet par Marie Bracque, epouse de Jehan de Salazar un proche du roi Louis XI.
Ce document est conserve aux Archives Nationales. Il est tres interessant par les personnages qu’il met en scene, lies pour certains a l’histoire de leur epoque.
Sont attaches a cet article une copie du document (source : Archives nationales) et sa transcription en lettres modernes.
PREMIERE PARTIE : QUELQUES EXPLICATIONS
Tres certainement cette declaration enregistree est liee aux querelles de succession de Jehan de Salazar, troisieme mari de Marie Bracque (peut-etre etait-ce un temoignage exige par un tribunal). Par d’autres archives, on sait en effet que leur fils, Charles de Salazar, conteste, au moins a partir de 1483, le partage fait apres la mort de son pere Jehan en 1479, et notamment l’attribution de la terre de Laas (pres de Pithiviers) a son demi-frere Galas, fils d’un precedent mariage de Jehan de Salazar.
Marie Bracque, qui voulait sans doute cacher ces lettres a son mari, les remet a son cousin et homme de confiance Ramonnet d’Osterville, qui lui-meme les confiera a sa belle-soeur, la femme de son frere Guillaume d‘Osterville, residant a Nangeville, et a l’insu de celui-ci.
Jehan de Salazar, compagnon de Louis XI, qui a sans doute eu vent de ce depot de lettres, passe a Nangeville sur le chemin du roi (qui residait sans doute au bord de la Loire) vers Amiens, et loge chez Guillaume d’Osterville – qui ignore tout – pour reclamer les lettres, mais son frere n’est pas la.
Un an plus tard, Guillaume d’Osterville decouvre chez lui, a Nangeville, les 4 lettres cachees dans un petit sac, et les ouvre : au moins deux des quatre lettres se rapportent a la terre de Laas (vente de Laas a Jehan de Salazar par Marie Bracque et son precedent mari Ramonnet de Mascaran). Son frere Ramonnet lui rend visite plus tard, et, s’apercevant que le sac a ete ouvert, reprend les lettres et les remet a son homme de confiance, avec interdiction de les montrer a quiconque. Longtemps apres, a la suite de la mort de Ramonnet, cet homme de confiance les remet a Guillaume, qui est l’heritier de son frere. Et Guillaume apres deux ans les remettra a Galas de Salazar, l’un des fils de Jehan (lui-meme decede entre temps, en 1479).
On sait par d’autres sources que Galas est devenu seigneur de Laas.
Comme au theatre, d’assez nombreux personnages entrent en scene dans ce document, dont certains hauts en couleur :
- Guillaume d’Outarville, seigneur de la Tour Carree, residant a Nangeville, et sa femme
- Ramonnet d’Osterville, frere de Guillaume, ne residant pas a Nangeville. Sans doute proche de Monsieur de Guyenne, frere de Louis XI.
- Marie Bracque, dame du Gatinais, nee vers 1430, mariee (apres deux veuvages) en 1457-1458 a Jehan de Salazar, mariee precedemment a Ramonnet de Mascaran (mort avant 1454) , et sans doute aussi a Rene d’Huisy. Elle habite au moins un temps a Escrennes (pres de Pithiviers et de Laas).
- Ramonnet de Mascaran, lieutenant de Bernard de Coarraze, gouverneur de Pithiviers ; bearnais venu en France a la demande du duc d’Orleans. Devenu compagnon de Jeanne d’Arc (apres un siege de Pithiviers vers 1428). Epoux de Marie (de) Bra(c)que, avant Jehan de Salazar.
- Galas de Villiers, sans doute le Gallois de Villiers fait prisonnier par les anglais a Janville en 1428. Ne en 1405, il est bailli de Montargis en 1443 et ecuyer de Charles VI. Par sa femme, il devient seigneur d’Andilly les Marais pres de La Rochelle, qu’il obtient le droit de fortifier
- Jehan de Salazar (Juan de Salazar y Escalante), ne en 1410 pres de Bilbao, mort en 1479 de ses blessures a Troyes, enterre dans l’Église du prieuré de Macheret – Saint-Just-Sauvage (Marne). Marie (second ou troisieme mariage) vers 1457 a Marie (de) Bracque. Present a Amiens vers 1471. Celebre mercenaire (« ecorcheur » pendant la guerre de 100 ans), puis proche compagnon de Louis XI. Pere notamment de Tristan de Salazar, archeveque de Sens, qui a fait etablir une chapelle a ses parents dans la cathedrale de Sens.
- Galas de Salazar (1449-1522), l’un des fils de Jehan de Salazar (issu de son mariage avec Marie-Marguerite Batarde de la Tremoille), seigneur de Mex et Laas (pres de PIthiviers); enterre a l’Abbaye de la Trinité – Morigny-Champigny (Essonne).
- Garnot de Bellay : cite aussi comme frere de Guillaume d’Osterville, non identifie
- Chance de Seyrac, non identifie
- Guillaume Boursin, homme de confiance de Ramonnet d’Osterville
- Jacques de Luzon, intermediaire entre Guillaume d’Osterville et Galas de Salazar, non identifie
Trois lieux sont egalement cites dans le document :
- Laas ou Laas, village pres de Pithiviers
- Sanctmaisons, non identifie
- Greves, non de lieu non identifie (situe a Nangeville, peut-etre)
SECONDE PARTIE : ESSAI DE TRANSCRIPTION EN FRANCAIS CONTEMPORAIN (QUELQUES DETAILS OU EXPLICATIONS FIGURENT ENTRE PARENTHESES)
Guillaume D’Osterville (le deposant), ecuyer seigneur de Nangeville, age de 69 ans ou environ, dit et depose qu’il a bien connu feue dame Marie Bracque (nee vers 1430, decedee sans doute avant 1483), sa cousine, de son vivant epouse de feu messire Jehan de Salazar (marie a Marie Bracque sans doute vers 1458).
Pendant le mariage dudit de Salazar et de ladite Bracque, Ramonnet d’Osterville, frere du deposant, etait maitre d’hotel et gouverneur de ladite Bracque, et elle avait en lui grande confiance.
Il y a longtemps (sans doute vers 1467), aux environs de fete de la Saint Laurent dont on a oublie l’annee, messire Jehan de Salazar, sur le chemin de la residence du roi se dirigeant vers Amiens, loga dans la maison du deposant (Guillaume d’Osterville) a Nangeville; et le dit Salazar a demande ou etait Ramonnet d’Osterville, son frere, au deposant qui lui repondit qu’il etait avec Monsieur de Guyenne (le frere du roi Louis XI) (probablement a ce moment Jehan de Salazar dit a Guillaume qu’il sait que son epouse Marie Bracque a donne en garde des lettres a Ramonnet, et qu’il les cherche).
Le deposant (Guillaume d’Osterville) lui dit qu’il n’a aucune des lettres que ladite Bracque avait donnees audit Ramonnet d’Osterville, et qu’il en ignorait tout.
Et dans l’annee qui suivit (vers 1468), le deposant n’a trouve aucune des lettres qui etaient necessaires a Jean de Salazar, et il a envoye querir Garnot de Bellay (non identifie), son frere, pour lire ces lettres.
En cherchant, quatre lettres furent trouvees dans un petit sac de toile.
- L’une d’elles mentionnait que Ramonnet de Mascaran (mort avant 1454, l’un des deux precedents epoux de Marie Bracque, deux fois veuve) et Dame Marie Bracque avaient vendu a Jehan de Salazar la terre de Las (pres de Pithiviers) pour 4000 royaux d’or.
- L’autre etait une lettre de remere (convention qui permet au vendeur de racheter un bien) des terres a 19 ans. Ces deux lettres etaient signees Bertran (notaire ?), sous le sceau de l’exemption d’Orleans.
- Une autre lettre etait une lettre de sommation faite par Jehan de Salazar a Galas de Villiers et a dame Marie Bracque, a l’epoque sa femme, cette lettre etant signee par Legras (notaire ?).
- Et l’autre lettre mentionnait que Chance de Seyrac avait acquis cent ecus (ou cent royaux) d’or de rente (sans se souvenir duquel) sur Centmaisons (Sainctmaisons ?).
Ensuite le deposant (Guillaume d’Osterville) a demande a sa femme qui lui avait remis les lettres, laquelle lui a repondu qu’elle les avait depuis longtemps et que son frere Ramonnet lui en avait donne la garde.
Et peu apres, Ramonnet, son frere vint a la maison a Nangeville, et comme il trouva qu’on les avaient remuees et mises en desordre, il les otat et les emporta.
Il (Guillaume d’Osterville) a depuis entendu dire par Guillaume Boursin, receveur dudit Ramonnet, que Ramonnet lui a remis en garde et lui a defendu de les montrer a personne (a homme vivant). Et Boursin garda les lettres quinze ans ou environ, jusqu’au trepas de Ramonnet d’Osterville, il y a environ 9 ans.
Et en recuperant plusieurs lettres et titres peu apres le trepas de Ramonnet (vers 1483) qui devaient revenir a son frere, en tant qu’heritier, Boursin a dit au deposant (Guillaume d’Osterville): « voici un sac que votre frere m’a remis autrefois de son vivant, et me defendit que je ne le donne jamais a qui que ce soit ». Et dans ce sac sont lesdites lettres.
Il (Guillaume d’Osterville) les a garde environ deux ans (jusque vers 1485). Et il y a 6 ou 7 ans ou environ (vers 1485), le deposant a informe messire Galas de Salazar, par l’intermediaire de Jacques de Luzon, qu’il avait plusieurs lettres qui le concernent a propos de sa terre de Las, et il rendit ces lettres a messire de Galas de Salazar.
Et avant (vers 1484) que le deposant (Guillaume d’Osterville) rende ces lettres a messire de Galas, un homme de Sainctmaisons, qu’il ne connaissait pas et se disait envoye par le seigneur de Sanctmaisons, vint vers lui au lieu des Greves, pour savoir s’il avait des lettres touchant la terre de Sainctmaisons et d’autres dont Ramonnet d’Osterville avait eu la garde.
Et en lui donnant 100 francs pour son vin, il lui a repondu qu’il n’avait rien qui puisse lui servir.
Et ensuite le sire Galoys (Galas ?) a demande les lettres.
Fait et certifie le 4 octobre 1491